Projet de "Data Archaeology"
Jusqu'au milieu du 19e siècle, la mesure du niveau de la mer s'effectue de manière ponctuelle, à l'aide de lectures sur des échelles de marée. Une rupture technologique majeure, permet, avec l'invention du marégraphe mécanique, l'enregistrement en continue du niveau d'eau. En France, de nombreux enregistrements du niveau de la mer sont conservées dans les archives. Cependant, ces dernières sont, pour la plupart, encore sous forme de papier.
Le projet relatif à la reconstruction, validation et valorisation des données marégraphiques historiques, nommé « Data Archaeology », du Havre a pour objectif de sauvegarder les observations passées du niveau d’eau et d’étudier les variations du niveau marin à plus ou moins long terme. Financé par la DGPR (Direction générale de prévention des risques) et le Shom, le projet, d'une durée initiale de 2 ans, a débuté le 1er avril 2024.
Ce travail permettra l'apport de nouvelles données historiques inédites, pour la compréhension des effets du changement climatique sur le niveau moyen de la mer en Manche ainsi que l’amélioration des études statistiques des niveaux extrêmes. Le projet de reconstruction de la série historique des hauteurs d’eau observées au Havre se décompose en 4 actions majeures :
Recherche et inventaire des données et des archives documentaires
Dématérialisation des données papiers
Digitalisation des données et vérification des référentiels
Analyse, exploitation et valorisation des résultats

Avancement du projet de reconstruction marégraphique au port du Havre (Juillet 2024).
A l’heure actuelle, les premiers travaux ont été consacrés à la prise en main du sujet et à la compréhension de l’évolution géographique et temporelle du site d’étude. En effet, depuis leur création et jusqu’à nos jours, les infrastructures portuaires ont énormément évolué. Afin de mener à bien la reconstruction de la série marégraphique, il est important de connaitre l’évolution du port ainsi que l’évolution des emplacements de mesures, leurs instruments de mesure et des zéros de références respectifs. Cette dernière notion est indispensable pour le contrôle qualité et la mise en cohérence des données marégraphiques numérisées.
Présentation générale
Contexte
Le port havrais est l'un des premiers ports européens. C’est principalement un port de commerce et de passagers, mais également de plaisance et de pêche sur la Manche. Le port s'étend sur plusieurs communes de l'estuaire de la Seine, sur 25 km d’est en ouest et 6 km du nord au sud, sur une superficie de 10 000 ha. Il est situé au nord de l'embouchure de la Seine, sur la façade maritime du Nord de l'Europe et est relié ainsi aux villes de Rouen et de Paris. Le 1er juin 2021, les 3 ports sont juridiquement réunis au sein d’un même établissement : HAROPA PORT, le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine. Il devient le premier port de France et assied sa place parmi les plus grandes places portuaires européennes.
Le port du Havre offre une localisation de premier et dernier port de la façade maritime nord européenne. La Manche étant la mer la plus fréquentée du monde et la rangée Nord-européenne, la Northern Range, représentant un quart de tous les échanges maritimes mondiaux, c’est une situation stratégique pour le Havre. C’est le second port français après le port de Marseille, et le premier port français de trafic de conteneurs. En 2016, le trafic est de 2,5 millions d’EVP (équivalent conteneur de vingt pieds), ce qui fait du port du Havre le onzième port européen.

Vue aérienne du port du Havre.
Évolution historique du port
Le Havre de Grâce a été fondé en 1517, par François 1er, dans un but militaire. La Seine s’envasant progressivement, les ports de l’époque tels que Harfleur et Honfleur ne pouvaient plus assurer leurs activités portuaires. Sa localisation bénéficie de qualités nautiques spéciales puisqu’il existe en embouchure de la Seine une tenue de l'étale de pleine mer pendant plusieurs heures, ce qui facilite la navigation.
La morphologie du port et de la ville a été transformée au cours du temps.
Lors de la fondation de la ville en 1517, un premier bassin a été conçu, le bassin du Roy, que l’on retrouve dans le port actuel du Havre. La tour François 1er date de la même époque, et servira jusqu’en 1861 de défense de l’entrée du port, avant d’être détruite pour les agrandissements. Le premier canal, d’environ 5 km de longueur, est construit en 1600 et relie le Havre à Harfleur. La ville a été constituée de remparts, de sa fondation jusqu’à 1854 où ils seront définitivement détruits. Le Havre a vu de nombreux aménagements au cours des périodes, en réponse à l’accroissement de la population, mais aussi dus à la transformation du port militaire en un grand port de commerce.
C’est en 1787 que les plans de Lamandé sont validés pour un agrandissement du port et un recul des remparts. Jusqu'à la fin du 18e siècle, l'activité portuaire principale est militaire.
En 1824 le port du Havre n’est plus militaire : l’arsenal ferme définitivement. Puis, sur la période de 1825 à 1865 le port est aménagé et de nouveaux bassins sont creusés. L’écluse des Transatlantiques et le quai de New-York voient le jour. En 1847 la ligne ferroviaire reliant le Havre à Paris est inaugurée et la navigation à vapeur apparaît : le transport de voyageurs devient l’activité principale pendant presque un siècle et le port est aménagé en circonstances, pour accueillir les bateaux de croisière de plus en plus grands.
En 1887, le nouveau canal reliant le Havre à Tancarville est inauguré : il fait 25 km de long et comporte deux écluses, qui permettent un tirant d’eau de 3,5 m.
En 1925, le Havre prend le statut de Port Autonome : les services portuaires gérées par l’Etat et la Chambre de Commerce sont confiées au port du Havre.
Entre les deux Guerres mondiales, le trafic de marchandises diverses poursuit sa progression avec surtout le trafic pétrolier et les grands paquebots de ligne français ("Normandie") et étrangers.
A la suite de la deuxième guerre mondiale, le port sera quasiment détruit. La reconstruction est décidée sur la base du plan-masse de 1939, pour s’achever en 1965.
De 1965 à 1985 le port s’étend dans un but de favoriser le développement industriel et la capacité d’accueil des grands pétroliers : les hydrocarbures sont devenus la principale composante du trafic portuaire. Au moins 5 terminaux sont mis en services dans cette période, l’écluse François 1er, la plus profonde du monde, est ouverte en 1971, et le chenal d’accès est dragué pour une profondeur de 15,5 m. En 2006 le « Port 2000 », qui spécialise le Havre en un port de conteneurs, est inauguré : le Havre est le premier port français pour le trafic de conteneurs. En 2008, le port autonome du Havre devient le Grand Port Maritime du Havre et en 2021 HAROPA Port est créé, liant les ports de Rouen, de Paris et du Havre.

Évolution historique du port du Havre de sa création jusqu'à aujourd'hui.

Quatre époques du Havre en images.
Travaux en cours
Le Shom conserve, dans ses archives, des documents contenant des données complémentaires pouvant contenir des informations relatives aux marégraphes (Localisation, niveau de référence, caractéristiques…) Pour cela, des plans, des lettres de correspondance, des rapports, des graphes ont été étudiés afin de trouver ces informations.
Le Havre est reconnu pour ses spécificités de marées : on y observe le phénomène de la tenue du plein, c’est-à-dire de la tenue de l’étale à marée haute sur plusieurs heures. Ce phénomène se produit surtout dans les grands estuaires. Lors de la tenue du plein, la mer ne monte plus que très lentement et en faible quantité. Lors des prédictions de marées historiques, il y a donc un facteur secondaire qui est calculé, qui est celui du début et de la fin de la tenue du plein. Le phénomène se produit aussi sur les ports alentours du Havre, en amont de la Seine.
Autrefois, il existait une autre spécificité : un mascaret qui se propageait le long de la Seine jusqu’en 1963.
Ce phénomène de mascaret correspond à une vague remontant le cours du fleuve, et s’explique par la remontée de la marée, lors des grandes marées, qui vient contrarier le courant du fleuve, si le lit de l’embouchure est en forme d’entonnoir. La vague s’accentue lorsque l’entonnoir se resserre.
Avant 1963, le phénomène était aussi spectaculaire sur la Seine : la vague remontait jusqu’à 130 km à l’intérieur du cours d’eau, avec une vitesse maximale de 25 km/h et des pics de 1 m à 3 m. À l’époque, il était à son paroxysme sur les communes de Caudebec-en-Caux et Quilleboeuf.
Le mascaret de la Seine était très puissant, jusqu’aux travaux de réaménagement de l’estuaire et du port du Havre dans les années 1960, notamment les travaux de dragages et d’endiguements. Le mascaret est toujours présent aujourd’hui, mais il se manifeste sous forme d’ondes d’une trentaine de centimètres maximum.
L’Évolution de l'embouchure de la Seine de 1756 à aujourd'hui.
La localisation des marégraphes enregistreurs des niveaux d’eau a beaucoup changé au cours du temps. Dans les documents, les mesures sur la marée ont été opérées via des échelles graduées, ou des marégraphes. Dans les archives nous avons pu relever les emplacements des marégraphes historiques, présents sur la carte du port ci-dessous.

Localisation des marégraphes historiques et actuels au Havre, d'après les archives du Shom.

Emplacement des repères de nivellement au Havre le 16/10/1894 (Archives Shom).
Avec les documents archivés au Shom, des informations relatives au 0 hydrographique ainsi qu’aux différents repères sur les quais ont été trouvées. La figure suivante synthétise les informations extraites des archives.
Le zéro du marégraphe est à 10 cm sous le zéro des cartes marines, au moins de 1866 à 1943. Après 1943, nous n’avons pour l’instant pas d’information sur le zéro du marégraphe. La cote du zéro des cartes marines est à -4.289m selon le nivellement général de Bourdaloue et à -4.721m selon le nivellement général de Lallemand. Depuis 2006, le zéro des cartes se trouvent à -4m378 selon le nivellement IGN69.
Ce travail va être complété avec les nouveaux documents d’archives qui seront épluchés au cours de l’année 2024 et permettra de pouvoir recaler les niveaux d’eau observés en fonction du 0 hydrographique choisit au cours du temps.
Un travail de vérification des données digitalisées (marégrammes été registres de marée) sera aussi réalisé en 2024 et 2025, dans le but de mettre en valeur la série marégraphique du port du Havre.

Évolution du 0 hydrographique dans le temps.
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